Mon discours-hommage à Rudolf Brazda
Hommage à Rudolf Brazda
par Jean-Luc Romero
Paris – 28 septembre 2011
Monsieur le ministre,
Cher Jean-Luc,
Monsieur le président des oubliés dela Mémoire, cher Philippe,
Mesdames, messieurs, chers amis,
C’est pour moi un émouvant honneur de rendre hommage à Rudolf Brazda à la demande de Jean-Luc et de Philippe des Oubliés de la mémoire. C’est aussi un grand plaisir d’associer à mon discours Jean-Paul Huchon, président de la région Ile-de-France, qui m’a demandé de le représenter ce soir.
Rudolf Brazda était un enfant de Bohème né tout juste avant la 1ère guerre mondiale. Il a franchi le sinistre portail du camp de Buchenwald. Il y a survécu trois années dans des conditions que nul ne peut imaginer, où l’insoutenable le disputait à l’abject. Il en est revenu. Il est alors devenu un jeune homme qui aimait la danse, les rires. Et les hommes. L’amour des hommes, voilà le crime qui lui a valu de franchir le Styx vers un enfer insondable d’où il n’aurait jamais dû revenir. Mais sa résistance et son intelligence l’ont sauvé.
Entendons alors l’ignominie du chef de la sinistre SS, Heinrich Himmler, qui affirme en 1940 que « l’homosexuel est un homme radicalement malade » et qu’« Il faut abattre cette peste par la mort ».
Oui, mesdames et messieurs qui êtes ici réunis, peut-être ne le saviez-vous pas avant les déclarations de Rudolf, les nazis ont déporté des hommes, seulement en raison de leur amour d’une personne du même sexe. Il n’y a pas de honte à l’ignorer, les livres d’histoires abordent peu cette déportation. Pourquoi donc ? Les larmes d’un homosexuel auraient-elles moins de valeur que les larmes d’une autre femme ou d’un autre homme ?
Car dans ces sinistres camps, à l’humiliation de porter un triangle rose comme la couleur des petites filles, s’ajoutait un traitement particulièrement odieux qui consistait en une tentative chimérique de rééducation. Expériences pseudo-médicales, viols, castration brutale, lobotomie. Comme un tigre conserve sa fourrure tachetée, l’homosexuel conservait pourtant son attirance singulière.
Malgré tout cela, il a fallu près de soixante ans àla Républiquefrançaise pour reconnaître cette vérité historique. Soixante années… Aujourd’hui, encore, il est des hommes, parfois des élus de notre Nation, qui considèrent que certains comportements humains sont inférieurs aux autres. Aujourd’hui, encore, il est des hommes qui, par leur absence de protestation devant de telles affirmations, sont coupables de complicité.
Rudolf Brazda, pour lutter contre cette autre forme de la barbarie, ce meurtre de la mémoire, a souhaité durant les dernières années de sa vie témoigner de ces crimes, se dépensant sans compter, malgré la fatigue, pour faire connaître la vérité. C’est aussi pour rendre hommage à ce travail quela Républiquea souhaité le distinguer par les insignes de chevalier dela Légiond’honneur qui lui furent remis le 28 avril dernier.
Malgré mon émotion, je pourrais parler des heures durant de sa vie, de son combat, de son humanisme. Malgré mon angoisse, je pourrais également parler des heures durant de la honte qu’en tant qu’homme j’éprouve au souvenir de ce que d’autres hommes ont commis. J’ai eu, moi, le privilège de deux émouvantes rencontres avec Rudolf Brazda. Je lui ai dit cela. Je lui ai dit mon admiration aussi pour ce combat qu’il a mené pour tous ceux qui sont morts. Pour tous ceux qui n’ont pu parler.
Aujourd’hui, alors que nous rendons hommage à Rudolf Brazda, je souhaite associer à cet instant magnifique la présence d’Edi, ce jeune homme à qui il a scellé sa vie durant plus de cinquante années, et dire à la face du monde, à la face de ses tortionnaires, à la face de ceux qui nous insultent encore, combien je suis fier de célébrer, malgré son absence aujourd’hui, la vie et l’amour.
Toutes les vies et tous les amours.
Je vous remercie.