Samedi : la Marche des Fiertés de Paris. Cette Marche, c’est tout simplement la manifestation annuelle qui regroupe le plus de personnes en France. Concrètement, des centaines de milliers de personnes vont marcher pour plus de respect, plus d’égalité, plus de solidarité. Au-delà de l’objectif de visibilité, cette marche a une portée sociétale extrêmement forte et constitue un beau moment d’engagement en faveur des LGBTI et, plus largement, d’un modèle de société républicaine. Réellement républicaine.
Alors bien sûr, le débat sur le mariage pour tous aura, pendant quelques temps, « éclipsé» les autres thématiques, tant cette question était légitimement centrale. Mais sachons ne pas oublier que « LGBTI », cela signifie lesbienne, gay, bi, trans, intersexe. Assurément, tous les mots sont importants et devraient être égalitairement importants. Assurément, le mot « trans » souvent mis de côté. Ecarté. Oublié. Rendu invisible. Limite déshumanise.
Et pourtant les besoins sont immenses, notamment en termes de santé : oui, les personnes trans sont dans une situation sanitaire que beaucoup, et j’en fais partie, considère comme dramatique. Devrais-je ici rappeler la définition du terme santé donnée par l’OMS ? « La santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Comment être en bonne santé quand, selon une enquête de l’IDAHO en 2014, 85% des trans déclarent avoir déjà subi un acte transphobe au quotidien et 64% avoir été rejetés du système de sante à cause de leur transidentité? Alors que cette même enquête indique que les personnes interrogées ont perdu un contact avec un ou des amis dans 69% des cas, un contact avec un ou des membres de la famille dans 42% des cas, un travail dans 28 % des cas, comment imaginer être en bonne santé quand l’expression de son propre genre est facteur d’exclusion et de rejet ? Comment se sentir dans « un état de complet bien-être physique, mental et social » quand le ressenti le plus profond de son identité de genre est continuellement facteurs de moqueries et d’humiliations ? Pour rappel, alors que le niveau de discriminations est très élevé, 3% des personnes trans vont porter plainte. Seulement 3% … Cela veut tout dire …normalisation et intériorisation des discriminations…
En fait, les spécificités de la sante des personnes trans, c’est un sujet très délicat. Délicat car, finalement, on ne sait pas exactement de quoi l’on parle. Imaginez quand même que, jusqu’en 2007 et l’enquête menée conjointement par Act Up-Paris et le Crips Île-de-France, il n’y avait pas de données sur le sujet des trans et du VIH. Depuis peu, les pouvoirs publics se sont intéressés très légitimement au sujet. Outre le rapport de la Haute autorité de santé de 2010 et celui de l’IGAS de 2011, c’est bien l’enquête INVS « Trans et santé sexuelle » de 2011 qui doit retenir notre attention et nous apporte des informations importantes, notamment, sur la prévalence au VIH/sida : ainsi, l’enquête indique que 10,9% des MtF (personnes transgenres effectuant ou ayant effectué leur transition du genre masculin vers le genre féminin) interrogés nées à l’étranger sont séropositives. 17,2 % des MtF ayant déjà été en situation de prostitution sont séropositives, sachant que 20,6 % des MtF ayant répondu au questionnaire indiquent avoir été en situation de prostitution au moins une fois dans leur vie.
Soyons francs, évoquer le problème du VIH au sein de la population trans, c’est constater une prévalence élevée, c’est un peu, excusez cette familiarité, regarder le problème par le « petit bout de la lorgnette ». Bien sûr si des facteurs individuels peuvent contribuer à expliquer cette vulnérabilité spécifique au VIH, ce sont bien les politiques publiques qui sont un frein à la prévention et donc favorisent cette même vulnérabilité : obstacles à l’accès aux soins et à la prise en charge, difficultés juridiques liées au changement d’état civil, à l’accès à l’emploi et au logement … je pourrai continuer longtemps cette liste à la Prévert tant les difficultés sont grandes. Je vous renvoie à la lecture du rapport IGAS pour en avoir un aperçu exhaustif.
La santé des personnes transgenres doit être vue et travaillée sous un angle global : épidémiologique, sanitaire, médical, social, juridique, éducationnel, sociétal. Les revendications des associations, nous les connaissons, elles sont portées depuis longtemps, elles sont légitimes : meilleure prise en charge médicale des transitions, simplification de la procédure de changement, développement de recherches sur les traitements médicaux et les effets de l’hormonothérapie, formation et sensibilisation pour les personnels médicaux, campagnes de lutte contre la transphobie …
Alors qu’attendent les pouvoirs publics? Qu’attendre des pouvoirs publics ? Comme souvent, il est fort possible que la solution se trouve du côté européen. Le 22 avril 2015, le Conseil de l’Europe votait la résolution 2048 qu’on peut vraiment qualifier d’historique sur les droits des personnes trans. Toutes les thématiques sont abordées : législation contre la transphobie, traitements de conversion sexuelle, soins de santé et bonnes pratiques, reconnaissance juridique explicite faisant référence à l’identité de genre du genre, sensibilisation du grand public formation des professionnels de santé.
Le Conseil de l’Europe a tracé une feuille de route, une feuille de route, que certains peuvent qualifiés d’ambitieux. En ce qui me concerne, je la considère extrêmement urgente. A l’Etat français de savoir désormais quelle direction prendre : celle de la République, du respect des droits, de l’intérêt général ou celle de l’ostracisme et de l’exclusion.
En marchant, ce samedi de juin, j’aurai une pensée toute particulière pour les personnes trans et le nécessaire respect de leurs droits. Car, pour elles, pour eux, l’invisibilité, ça suffit !