Mon discours à la 4ème conférence francophone sur le VIH/sida
Comme je vous l ’ai annoncé hier, je suis intervenu à la 4ème conférence francophone sur le VIH/sida qui s’est ouverte jeudi sous la double présidence des professeurs Delfraissy et Katlama.
Cette conférence, qui réunit près de 2000 congressistes, montre à quel point les francophones ont besoin d’une conférence commune.
Je vous reproduis ci-dessous l’intégralité de mon intervention faite au centre des Congrès de la Villette.
Mon discours à la 4ème conférence francophone sur le VIH/sida [suite]
Intervention de Jean-Luc Romero
Président d’Elus Locaux Contre le Sida, Membre du Conseil National du Sida
Vendredi 30 mars 2007 - Centre des congrès de la Villette
4ème Conférence Francophone sur le VIH/Sida
« Les objections étatiques à la libre circulation des personnes séropositives : comment en sortir ?»
Mesdames, Messieurs,
698 millions, c’est le nombre d’entrées et de sorties internationales pour la seule année 2000,
175 millions, c’est le nombre de personnes qui travaillent en dehors de leur pays,
40 millions enfin, c’est le nombre de personnes atteintes par le VIH/sida qui voient leur liberté de circulation drastiquement restreinte par des législations nationales…
En quelques chiffres, voici résumé l’ampleur du défi qui est le nôtre quant aux restrictions à la liberté de circulation des personnes séropositives dans le monde.
Ainsi, dans près de la moitié des Etats membres de l’ONU, des mesures discriminatoires concernant la liberté de circulation des personnes touchées sont appliquées. Ces chiffres, nous les connaissons dans le détail grâce au formidable travail de l’association Deutsche Aids Hilfe qui, depuis quelques années, publie un guide détaillant, pays par pays, les conditions d’entrée et de séjour pour une personne touchée par le VIH/sida. A ce sujet, je vous informe que la version française de ce guide est publié aujourd’hui conjointement par AIDES et Elus Locaux Contre le Sida. Vous pourrez le trouver sur les sites Internet de AIDES (www.aides.org) et sur celui d’ELCS (www.elcs.fr).
Permettez-moi de vous détailler la situation : sur les 170 pays ayant répondu au questionnaire de l’association Deutsche Aids Hilfe, 13 pays ont des législations spécifiques sur les courts séjours et 77 autres pays appliquent des restrictions sur les moyens et longs séjours (plus de 3 mois). Ainsi dans 13 pays - Arabie Saoudite, Arménie, Bruneï, Chine, Corée du Sud, Etats-Unis, Irak, Libye, Moldavie, Oman, Qatar, Russie, Soudan - les séropositifs sont tout simplement interdits, tels des criminels ou des terroristes, d’entrer sur le territoire national, que ce soit pour un court séjour ou pour un séjour de plus longue durée. Cela ne signifie pas forcément que ces pays mettent en oeuvre des mesures pour vérifier la séronégativité des arrivants mais une découverte de la séropositivité conduit à une expulsion immédiate. Dans 77 pays, la liberté d’établissement des personnes touchées, comme pour faire des études ou trouver un emploi, n’est pas assurée en raison de l’état de santé de la personne.
Face à cette situation, la première réaction est forcément l’incompréhension, voire l’incrédulité : à l’heure de la mondialisation, voyager, s’installer dans un autre pays est une chose normale et même recommandée par beaucoup pour l’ouverture d’esprit, la connaissance d’autres cultures ou d’une langue étrangère que cela peut apporter. Mais notre seconde réaction à tous ici, j’en suis sûr, est la colère. L ’existence de barrières liées au statut sérologique VIH des voyageurs est totalement intolérable : en effet, comment accepter que plus de 40 millions de personnes soient privées de leur droit élémentaire de libre circulation du seul fait de leur état de santé? Comment accepter, par exemple, que les personnes séropositives ne puissent légalement se rendre au siège des Nations Unies, situées à New York, donc dans un pays qui refuse l’entrée aux personnes séropositives, alors que l’ONU a pour mission de promouvoir le respect des droits de l’homme au niveau mondial ? Sans remettre en cause le droit de chaque pays d’apporter des restrictions quant à l’entrée sur son territoire, être séropositif ne peut être considéré comme une menace et, à partir du moment où la lutte contre le sida est correctement prise en charge par le gouvernement national, il n’y a aucune raison qui justifierait d’opposer ce type de restriction à une personne séropositive. Le séropositif n’est ni un criminel, ni une menace à l’ordre public !
Cette affirmation, je le sais, nous la trouvons tous évidente. Pourtant cette logique n’est pas partagée par tous les Etats du monde, loin s’en faut ! La France ne fait heureusement pas partie des pays qui ont mis en place de telles restrictions. Pour autant il est, je pense, du devoir des autorités nationales de tout faire pour inscrire ce sujet lors de toutes les conférences européennes et internationales. C’est le sens du combat que mène Elus Locaux Contre le Sida depuis longtemps en interpellant les autorités françaises, mais également européennes et internationales. Ce combat, nous ne pouvons que le mener ensemble ; c’est dans cette optique que, afin de vous fournir quelques éléments pour interpeller vos gouvernements, je vais tenter de présenter les objections étatiques à la libre circulation des personnes séropositives. Elles sont de deux sortes : la protection de la santé publique et une justification économique liée à la volonté d’éviter des dépenses de santé trop élevées. Ces justifications ne tiennent pas et il nous appartient de vous démontrer que ces restrictions à la liberté de circulation des personnes touches par le VIH/sida sont inefficaces, discriminatoires, dangereuses sur le plan de la santé publique et incontestablement basées sur un préjugé d’un autre âge selon lequel le sida serait une maladie de l’étranger.
Tout d’abord, examinons ensemble la première objection qu’opposent certains Etats : la protection de la santé publique. C’est une des missions de l’Etat que d’assurer la santé de ses ressortissants. Cette mission, personne évidemment ne la remet en cause. Ainsi, dans le cadre d’épidémies disons de choléra, de grippe aviaire ou de fièvre jaune, les restrictions à la liberté de circulation des personnes atteintes sont justifiées car ces maladies ont une courte période d’incubation, des signes cliniques apparents et surtout elles sont fortement contagieuses. Ce raisonnement ne peut s’appliquer au sida pour plusieurs raisons qui font que ces restrictions sont totalement injustifiées.
Première raison : le sida n’est pas une maladie contagieuse. Cela peut paraître une évidence de base pourtant la loi qui, aux Etats-Unis, fonde l’interdiction d’entrée des séropositifs -Immigration and nationality act - assimile le sida à une maladie contagieuse : « communicable disease of public health significance, which shall include infection with the etiologic agent for acquired immune deficiency syndrome ». Faut-il le rappeler, le VIH se transmet principalement par relations sexuelles non protégées ou via le partage de matériel d’injection. On est loin du simple contact dans la rue ! La présence du malade n’est donc pas une menace par sa simple présence dans un lieu pour la santé publique.
Deuxième raison : la prévention du VIH/sida ne repose pas seulement sur les personnes touchées mais également bel et bien sur les séronégatifs. Prenons le cas d’une relation sexuelle : les deux acteurs ont tout autant le devoir de se protéger, c’est ce qu’on appelle la notion de responsabilité partagée, notion que la plupart des associations défendent, de même que le Conseil National du Sida, qui dans un avis de 2006, affirmait, je cite : « si une personne vivant avec le VIH a la responsabilité de ne pas transmettre le virus, la personne non contaminée a la responsabilité, à l’occasion d’une nouvelle relation, de se protéger du VIH et des autres infections sexuellement transmissibles. » Tout ceci nous amène à la conclusion que les personnes séronégatives comme séropositives sont responsables de leur propre prévention. Vouloir empêcher ou limiter l’entrée des séropositifs dans un pays est une grave erreur quant à une approche efficace de la prévention du VIH.
Troisième raison : si l’on suit jusqu’au bout le raisonnement des pays ayant des restrictions, on voit rapidement leurs limites quant à la volonté qu’il n’y ait pas plus de cas de sida ! En effet, ces pays n’imposent pas de tests à leurs ressortissants revenant de voyage. Comment garantir alors que le sida ne pénètre pas dans leur pays ? En outre, une autre limite saute aux yeux : dans le cas d’une infection récente, il y une fenêtre pendant laquelle le virus ne peut être détecté. On le voit bien, cet argument se fonde sur le mythe selon lequel il faudrait, tels de vulgaires parias, parquer les séropositifs. Concrètement, c’est impossible et surtout, humainement, c’est totalement inacceptable
Dernière raison : les limitations à la liberté de circulation sont dangereuses sur la plan de la santé publique. En effet, ces restrictions laissent à penser que le sida est une maladie d’étrangers et que l’on pourrait résoudre le problème en éloignant les étrangers touchés. Triste raisonnement qui ne peut conduire qu’à une moindre conscience du risque et donc à une augmentation des comportements à risques et une moins bonne connaissance de la maladie. Quand on connaît la difficulté de mobiliser sur le thème du VIH/sida et la rapide démobilisation qui peut être constatée quand on relâche la pression, alors il est clair que ces restrictions ne vont pas dans le sens d’une meilleure protection de la santé publique. C’est même tout le contraire.
Je le dis avec force : lutter contre le sida en luttant contre les malades et non contre la maladie est une erreur fatale qui met en péril la politique de lutte contre le sida et conduit clairement à une moins bonne protection de la santé publique. Ce combat pour la vie ne peut passer que par une politique d’information et de prévention pragmatique, non idéologique et donc efficace.
Permettez-moi maintenant d’aborder la seconde prétendue justification à ces restrictions à la liberté de circulation des séropositifs dans le monde : l’argument économique. Ce cas de figure ne concerne que les moyens et longs séjours des personnes infectées par le VIH/sida. Je serai d’ailleurs plus bref sur ce second argument. L’idée est la suivante : les Etats mettent en place des restrictions, car les dépenses de santé seraient trop importantes au regard de la maladie et le système de santé ne pourrait le supporter.
Cet argument, outre qu’il est fallacieux, est également insupportable au regard de la vision que cela révèle de la personne touchée par le VIH/sida : malade = charge financière ! Rien ne permet d’affirmer que les dépenses de santé induites par la maladie ne sont pas inférieures à la contribution économique que la personne amènera au pays notamment en termes de contribution au revenu national, par exemple via les impôts. Sa venue permettra peut-être également de pallier à un manque de main d’œuvre ou à un manque de personnel dans tel ou tel secteur de l’économie. En outre, rien ne dit que la personne malade ne puisse pas bénéficier de l’assurance maladie de son pays d’origine ou d’une aide privée, par exemple de sa famille.
Autre cas de figure : certains Etats pourraient penser que accepter des étudiants serait économiquement un poids trop important et un investissement inutile. Cet argument lui non plus ne tient pas puisqu’il ne prend absolument pas en compte les grands progrès de la recherche qui permettent aux personnes touchées de vivre, donc d’étudier, de travailler, de s’intégrer dans une société et au final de contribuer à sa richesse.
On le voit cet argument économique ne peut permettre de justifier ces restrictions à la liberté de circulation. Il est en effet impossible de faire des généralités et donc de justifier une interdiction de principe.
Mesdames, messieurs, les justifications liées à la protection de la santé publique et à l’argument économique ne sont pas tenables et sont même terriblement dangereuses, comme j’ai tenté de vous le démontrer. Ces justifications, que je qualifierai d’idéologiques, sont uniquement basées sur les préjugés selon lesquels le sida serait une maladie d’étranger et le malade, plus un être humain, mais une charge. Etablir des restrictions à la liberté de circulation des personnes touchées par le VIH/sida revient à lutter - il faut le marteler - contre les malades et non contre la maladie !
Alors que faire concrètement maintenant que l’on a identifié certains arguments qui peuvent amener à lutter contre l’application de telles mesures ?
Je crois qu’il faut savoir combattre ensemble et des évolutions positives peuvent vraiment se produire. Ainsi, le Canada a modifié en partie, sous la pression des associations canadiennes, ses règles d’entrée pour les personnes séropositives. De même la AIDS society, organisatrice des congrès sur le sida, a pris l’engagement que ces conférences ne se tiendront pas dans des pays où les personnes touchées ne pourront se rendre. Permettez-moi cependant de regretter qu’une grande conférence médicale se soit déroulée récemment à Los Angeles sans que personne n’y trouve rien à redire. Enfin, les Etats-Unis vont également peut-être changer de législation sur les courts séjours si nous intensifions notre pression : en effet, suite à une campagne de lobbying menée notamment par ELCS, le président Bush a annoncé, après que nous lui ayons adressé une lettre ouverte, qu’il mandatait deux de ses secrétaires d’Etat pour faire évoluer la législation en vigueur et autoriser l’entrée des personnes touchées. Reste à savoir si cette annonce faite lors de la journée mondiale de lutte contre le sida sera suivie d’effets concrets. Et quoiqu’il arrive, elle sera, en l’état de la promesse, insuffisante.
Dans chacun de nos pays, fidèles aux valeurs de la francophonie, militants associatifs, soignants, chercheurs, medias, nous devons interpeller sans relâche les responsables politiques pour que à chaque conférence de chefs d’Etat, à chaque G8, ce thème soit à l’ordre du jour au même titre que l’accès universel à la prévention et aux soins.
Les acteurs de la lutte contre le sida savent se réunir autour de causes essentielles.
Celle-ci en est incontestablement une. A nous d’agir et de réagir.
Je le répète : Sans relâche.
Je vous remercie.