Des Etats généraux d'ELCS axés sur la précarité et les discriminations
Beaucoup de provinciaux avaient annulé leur participation aux 12èmes Etats Généraux d’ELCS contre le sida en raison des grèves. Ce qui nous a un peu inquiété… En fait, le retour à la normale vendredi a convaincu plusieurs d’entre eux de revenir sur leur annulation et c’est un peu moins de 200 participants qui ont assisté à notre matinée de travail au Conseil régional d'Ile-de-France. Cette réunion a été d’une excellente tenue et très importante pour comprendre à quel point discriminations et précarité sont deux enjeux déterminants dans la lutte contre le sida aujourd’hui.
Si Roselyne Bachelot n’a pas dévoilé l’ensemble du plan contre le sida qu’elle présente au ministère demain, elle a néanmoins fait quelques annonces importantes. D’abord, selon ses mots le budget pour les associations sida 2008 sera « sanctuarisé » à 37,5 millions d’€ auxquels s’ajoute le budget pour les campagnes de communication pour 23 millions d’€ avec 3 publics cibles : les gays, les migrants et enfin les DFA. Annonce importante aussi, l’augmentation de 30% de places en ACT en 2008 comme je le réclamais dans mon discours.
Enfin, la ministre de la santé a aussi annoncé qu’elle allait rappeler l’application de la circulaire sur l’interdictions d’expulser des malades étrangers aux préfets : « les pays du sud n’accèdent pas aux traitements ». Début 2008 se déroulera aussi le débat sur le bouclier sanitaire.
Bien des interrogations restent sur la rdr, les franchises pour les personnes atteintes d’ALD, les problèmes de logement, et les annonces de la ministre lundi sont attendues avec impatience. Je vous reproduis ci-dessous discours Jean-Luc Romero - EG - version 31.doc
Intervention de Jean-Luc Romero
XIIe Etats généraux d’Elus Locaux Contre le Sida
24 novembre 2007 – Conseil régional d’Ile-de-France
« Discriminations et précarité : le quotidien des séropositifs »
Madame la ministre, chère Roselyne,
Madame la députée,
Mesdames, Messieurs les élus,
Mes chers amis,
L’année 2007 a été marquée par deux évènements politiques majeurs : les élections présidentielles et législatives. Malheureusement le sida n’a pas été un sujet de campagne comme on aurait pu le souhaiter. Il demeure indispensable que, dans les années à venir, la lutte contre le sida demeure une priorité politique, une priorité de santé publique. De même, j’espère vivement que le groupe d’études sida qui sera très bientôt constitué à l’Assemblée Nationale soit dynamique et ait une vraie utilité pour relayer les attentes et revendications notamment des associations. J’attends de voir et je demanderai un rendez-vous à sa présidente, Marie-George Buffet, qui vient d’être nommée.
Avant tout chose et avant de passer aux sujets qui fâchent, permettez-moi de faire écho aux tableaux que vous voyez sur l’écran derrière moi. Ils sont le résultat d’une opération organisée pour la deuxième année consécutive par le Banana café, opération parrainée par Roselyne Bachelot, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports et par ELCS. Pour la deuxième année, de nombreuses personnalités ont accepté d’être représentées dans la « peau » d’un personnage historique. La vente de ces tableaux, dont la recette sera intégralement reversée à l’Institut Alfred Fournier, aura lieu sur e-bay du 26 novembre au 5 décembre. Alors n’hésitez pas et soyons solidaires ! Je voudrai simplement et très chaleureusement remercier Michel Michel et Stéphane Turland du Banana Café. Ils ont passé énormément de temps à organiser cette opération et dépensé beaucoup d’énergie, c’est le moins que l’on puisse dire ! Je tiens quand même à vous rappeler qu’ils font cela bénévolement et qu’ils ne gagnent strictement rien. Le Banana café a du cœur et il le montre. Un grand merci à eux ! D’ailleurs ils nous invitent ce soir de 19h00 à 21h00 pour un pot amical où j’espère vous y retrouver nombreux.
Entrons maintenant dans le cœur de mon intervention que j’ai souhaité centrer sur « discriminations et précarité : le quotidien des séropositifs ». Cela fait 12 ans que les Etats généraux ont lieu, 12 ans que j’y interviens comme beaucoup d’entre vous et que je réagis sur de nombreux thèmes. Mais aujourd’hui je veux insister sur un aspect de la lutte contre le sida qui me scandalise au plus haut point, qui nous scandalise tous : les discriminations à l’encontre des personnes touchées par le VIH/sida.
Les discriminations et précarité envers les personnes touchées en France
C’est sans doute la question centrale, en tout cas celle qui englobe toutes les difficultés. Les malades trouvent-ils dans la société un espace où dire leur maladie ne les exposerait pas à l’opprobre et aux discriminations ? La société actuelle est-elle prête à vivre avec les malades du sida ? La vie quotidienne est-elle adaptée aux malades ou au contraire les malades sont ils discriminés et mis au ban de la société ? Rien n’est moins sûr et il reste tant à faire comme vous le savez.
En France, discriminations et précarité vont souvent de pair. Or la précarité vue comme une conséquence des discriminations, a une incidence déterminante sur les soins. Il y a de façon évidente une corrélation très forte entre soin social et soin sanitaire. La démarche vers le soin ne doit pas être perturbée par la non-satisfaction de besoins fondamentaux comme se nourrir, se loger, se vêtir…. Or aujourd’hui on ne peut que constater que les personnes séropositives vivent souvent dans des conditions sociales précaires. Plus du quart des personnes vivant avec le VIH/sida ont une invalidité reconnue ouvrant droit à des prestations, principalement à l’allocation adulte handicapée soit 621 euros par personne et par mois soit moins que le seuil de pauvreté … 43% des personnes séropositives en âge de travailler n’ont pas d’activité professionnelle. Pire 47% d’entre elles ont moins de 760 euros par mois et 22% n’ont pas de logement personnel. Ces chiffres font froid dans le dos… Imaginons la vie d’un malade, de nombreuses questions se posent :
Quel accès aux soins ?
La couverture maladie universelle a été et reste une belle avancée qui a permis un accès aux soins pour un grand nombre de personnes défavorisées.
Mais il est vrai que son caractère « universel » n’est pas aussi universel qu’on nous le laisse imaginer. Ainsi, les personnes en situation irrégulière, les « sans-papiers » en sont exclus et sont dirigés vers l’aide médicale d’Etat, dispositif régulièrement attaqué par certains responsables politiques notamment à cause d’un coût qu’ils estiment trop lourd pour le budget de l’Etat. Ces critiques sont infondées comme l’indique un rapport commun de l’IGAS et de l’inspection générale des finances de 2007. Mais alors pourquoi ne pas, tout simplement, fondre l’AME dans la CMU ? Cela serait une très bonne solution notamment pour éviter les attaques idéologiques des plus extrémistes car l’intérêt sur le plan de la santé publique est bien présent : cela permettrait notamment un dépistage plus précoce et ainsi une efficacité accrue des traitements. Je vous demande, Madame la ministre, de réfléchir à cette proposition.
Permettez-moi de faire référence à deux sujets d’actualité. Le premier concerne la réduction des risques en direction des usagers de drogue : ELCS est signataire de la lettre ouverte adressée à l’initiative d’Act Up à Etienne Apaire, nouveau président de la MILDT. Il est totalement indispensable que le président de la MILDT rappelle sa volonté d’avancer dans la politique de réduction de réduction des risques, politique sanitaire dont on ne se rappellera jamais assez les immenses progrès qu’elle a permis et que tu as toujours défendue, chère Roselyne. Je remarque au passage que c’est la première fois depuis fort longtemps que le président de la MILDT n’est pas présent à ces Etats généraux, Didier Jayle et Nicole Maestracci s’y sont toujours exprimés.
Le second sujet d’actualité sur lequel je souhaite réagir est bien sûr les franchises médicales. Sans juger l’ensemble du dispositif, je pense sincèrement que la franchise est un obstacle à l’accès aux soins pour les malades atteints de graves pathologies. Il est vrai que son montant est plafonné à 50 euros par an mais qui peut dire aujourd’hui si son montant ne va pas augmenter d’ici quelques temps ? Sincèrement je ne crois pas, et je sais que tu es d’accord Roselyne, que les malades atteints d’une affection longue durée considèrent le médicament comme un produit de consommation courante. Ils préféreraient bien souvent s’en passer. Je crois sincèrement que leur imposer cette franchise aura des conséquences et qu’il faut vraiment les exclure de ce dispositif.
Quel logement pour les personnes touchées ?
Un chiffre : 22% des personnes séropositives n’ont pas de logement personnel… Pourtant, la stabilité dans un logement est une question centrale. Elle a une incidence très forte aussi bien sur la qualité de l’observance thérapeutique mais permet également de s’engager dans la voie de la réinsertion professionnelle.
Cette stabilité est très compliquée à acquérir. Ainsi, l’accès au logement locatif dans le privé est bien souvent impossible au regard des ressources de la personne et des exigences des bailleurs (caution solidaire, dépôt de garantie…). Il reste donc à se tourner vers le logement social mais, nous le savons tous, ils sont en nombre insuffisant pour répondre à la demande de tous. Les dossiers individuels que nous soutenons à ELCS avancent bien trop lentement ! C’est pourquoi il faut, je crois, instaurer une priorité absolue pour les séropositifs et plus globalement pour les ALD 30 et les personnes handicapées dans l’accès au logement social. Cette discrimination positive est totalement justifiée !
Se pose également la question du maintien dans le logement en cas de baisse de revenus ou d’hospitalisation. Il faut une vraie coordination entre tous les services pour éviter à la personne de perdre son logement. Globalement, pourquoi ne pas déclarer immédiatement le séropositif, les personnes atteintes d’ALD30, les handicapés, inexpulsables tant qu’une autre proposition de relogement ne leur a pas été faite ?
Sur les hébergements transitoires comme les appartements de coordination thérapeutiques : oui leur nombre a été augmenté mais actuellement, on ne répond qu’à 10% des besoins. Bien trop peu ! Une augmentation massive du nombre d’ACT doit être financée par l’assurance maladie.
Quelle place dans le monde du travail ?
Le sida rend l’avenir très incertain et reprendre un emploi est malheureusement souvent un risque plus qu’une chance. Oui un risque ! Parce que si la personne ne supporte pas la charge de travail imposée à cause des effets secondaires des traitements, elle peut perdre l’AAH et donc se retrouver au RMI ce qui aurait évidemment des conséquences très graves. Deux solutions complémentaires s’offrent donc à nous : il faut déjà faire un gros effort de formation des personnels médicaux et paramédicaux à la problématique de la réinsertion. Parallèlement, il faut permettre, tout comme le RMI, le cumul intégral de l’AAH avec un revenu d’activité pendant quelques mois. Cela permettrait à la personne d’avoir une sorte de droit à l’essai. Et tout le monde y gagnerait. De toute façon il nous faut sortir de la logique selon laquelle reprendre un travail pour une personne touchée serait un risque et pas une chance ! De même, pour les personnes continuant à travailler, le maintien dans l’emploi est un vrai problème : comment gérer la fatigabilité, les effets secondaires des traitements ? Les aménagements nécessaires sont clairement insuffisamment mis en œuvre.
Quel projet de vie ?
Avoir un prêt et être séropositif : voilà un beau défi ! Bien évidemment, sur la forme, je suis ironique. Mais pas sur le fond. L’accès à l’assurance pour les personnes touchées dépend d’un régime conventionnel. La convention Belorgey qui n’avait pas atteint ses objectifs a été considérablement améliorée par la convention AREAS et je veux rendre hommage aux associations mais aussi à l’ancien Président de la République qui a impulsé cette amélioration. Mais il reste beaucoup à faire pour assouplir les conditions d’octroi d’un prêt, vraiment beaucoup…
Les malades dans les DFA : une situation intolérable
Depuis quelques minutes, j’évoque des thèmes : le logement, le mode du travail mais je veux maintenant faire un examen particulier de la situation dans les départements français d’Amérique. En effet, je suis revenu il y a moins d’un mois d’une mission organisée par le Conseil national du sida en Guyane et en Guadeloupe. Je ne vais pas rappeler les chiffres que nous connaissons tous, ils exigent une réaction urgente et vigoureuse des pouvoirs publics.
Mais j’ai surtout été frappé par ce qui se passe dans les DFA : le mot discrimination y prend tout sons sens ! Le sida y est ressenti comme une vraie honte et l’absence de parole publique sur ce sujet ne fait que renforcer la stigmatisation. Ainsi, les personnes touchées par le VIH/sida ne peuvent pas prendre la parole sous peine de mort sociale et d’exclusion. Un exemple : même dans les associations de lutte contre le sida, aucune personne séropositive ne le dit ouvertement en public ! Il y a un besoin urgent de mettre en place de grandes campagnes permanentes contre les discriminations et pour l’acceptation de la maladie. Les associations doivent d’ailleurs être beaucoup plus impliquées dans ces campagnes. De même, l'homosexualité est un vrai tabou et les personnes séropositives homosexuelles sont frappées d'une vraie double peine.
Globalement en France, on voit qu’il est difficile de dire sa séropositivité, je dirai même plus difficile qu’avant. Plus difficile que lorsque j’ai appris ma propre séropositivité, il y a 20 ans. Le dire revient à accepter bon nombre de discriminations dans la vie quotidienne, que ce soit au travail ou en matière de logement. La dicibilité de la maladie, pour reprendre l’expression de AIDES, est un chantier prioritaire sur lequel nous devons tous nous mobiliser.
La liberté de circulation, des personnes touchées dans le monde : la peur intolérable du malade
Au niveau international, les discriminations sont nombreuses.
D’abord, l’accès universel à la prévention et aux traitements n’est toujours pas assuré malgré, il faut le reconnaître des avancées ces dernières années.
Mais j’aimerai insister sur un problème que les autorités internationales laissent s’empirer dans une grande indifférence : les restrictions discriminatoires à la liberté de circulation des personnes touchées dans le monde. Ce combat, ELCS le mène depuis longtemps comme d’autres associations Act Up Paris et AIDES.
Le constat est simple mais dramatique : dans près de la moitié des Etats membres de l’ONU, des mesures discriminatoires à l’encontre de la liberté de circulation des personnes touchées par le VIH/sida sont appliquées. Dans 13 pays dont les Etats-Unis et la Russie, les séropositifs sont soumis à une stricte interdiction d’entrée sur le territoire national, même pour un court séjour touristique.
Face à cette situation, la première réaction est forcément l’incompréhension, voire l’incrédulité : à l’heure de la mondialisation, voyager, s’installer dans un autre pays est une chose normale et même recommandée pour l’ouverture d’esprit, la connaissance d’autres cultures ou d’une langue étrangère.
Mais bien vite l’incompréhension cède la place à la colère, une colère légitime. L’existence de barrières liées au statut sérologique VIH des voyageurs est intolérable : en effet, comment accepter que plus de 32 millions de personnes soient privées de leur droit élémentaire de libre circulation du seul fait de leur état de santé ? Comment accepter, par exemple, que les personnes séropositives ne puissent légalement se rendre au siège des Nations Unies, situé à New York, donc dans un pays qui refuse l’entrée aux personnes séropositives, alors que l’ONU a pour mission de promouvoir le respect des droits de l’homme au niveau mondial ? Le séropositif n’est ni un criminel, ni une menace à l’ordre public !
Sur ce sujet, j’ai personnellement rencontré bien des responsables en France – hier encore Rama Yade - et dans le monde. Mais malgré ces rencontres, le dossier avance trop lentement à mon goût. Il est vrai que des signes d’espoir existent : la Chine a récemment annoncée qu’elle allait modifier sa législation en assouplissant les conditions d’entrée et de séjour des séropositifs. Nous allons rester vigilants pour voir si cette annonce sera vraiment suivie d’effets car il faut rappeler que George Bush avait promis la même chose le 1er décembre 2006 après une lettre ouverte que je lui avais adressée. Mais rien n’a été fait depuis !
Globalement, ce grave problème me paraît très révélateur : aujourd’hui on n’a plus peur du malade que de la maladie. Faudrait il rappeler que le sida n’est pas contagieux et que nous avons les moyens de nous en protéger ?
Ce combat sera encore long mais il peut être gagné avec l’appui de tous. Et franchement, Madame la ministre, chère Roselyne, on a vraiment besoin de vous - on a besoin de toi ! - sur ce dossier pour persuader le Président de la République de prendre ce dossier à bras le corps comme il sait le faire sur bien des dossiers.
Conclusion
En théorie je devrais conclure par des mots d’épuisement et d’inquiétude notamment avec les élections municipales qui s’approchent car on sent - pourquoi le nier ? - un désintérêt croissant des élus. Mais je préfère terminer par des mots d’amitiés et d’affection envers la personne qui nous fait le grand plaisir d’accepter de conclure notre matinée et je sais que sa tâche n’est pas facile : Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
Chère Roselyne, t’avoir à mes côtés ce jour me rappelle qu’il y a plus de 12 ans, tu étais déjà avec moi lors de la création d’Elus Locaux Contre le Sida. Tu as été l’une des premières à croire en cette association et je n’oublie pas non plus que la veille du lancement de l’association au siège de l’Association des Maires de France, tu étais avec moi en train de préparer le discours ! Ce sont pour moi - et pour toi j’espère aussi ! - de beaux souvenirs, des souvenirs de militants de la lutte contre le sida.
Même si aujourd’hui, il est aussi de mon devoir de t’alerter de nos inquiétudes.
Je le fais avec confiance mais aussi avec insistance.
En cette période difficile pour les personnes séropositives, nous avons vraiment besoin de toi.
Commentaires
Jean-Luc,
je suis désolé de ne pas avoir pu venir. Mais je suis heureux de voir que ces Etats Généraux se sont bien déroulés.
Amitiés,
Luc
Merci J.Luc pour ce post qui permet de suivre l'évolution de cette "bataille" sur le sida. Je crois beaucoup en Roselyne Bachelot. Vous dites que l'homosexualité est un vrai tabou, ici en campagne, nous avons beaucoup de couples homosexuels, qui tiennent des commerces, hôtel, gîtes, ils sont charmants, et les gens du village les adorent.